retrouvailles : un groupe d’étudiants
ils ont été mes tout premiers, à Molenbeek
j’avais 23 ans, eux 7/8 de moins
l’école jouxtait la place communale, que le vaste monde connaît maintenant
espagnols, marocains, italiens, grecs, brusseleirs
depuis 30 ans
on ne s’était pas vus, ou alors croisés sans se reconnaître
une classe de quatrième
ça remuait ferme !
prof intimidée, guindée
tentant d’asseoir mon autorité – quelle erreur
ou horreur …
« j’étais fort minable »
il y avait quelque chose de « formidable» aussi
une magie, pas souvent très soft
et des heurts
forcément, ils se construisaient
formidable comme on disait des tempêtes
adolescence rebelle (et c’est heureux)
balbutiements
pour eux autant que pour moi
aujourd’hui, my god, je vois comme ils se sont bien débrouillés
parcours mobiles
would you believe it : ils sont reconnaissants à l’école, à certains de leurs profs
pas à tous
chez eux, il y avait pas mal de problèmes et peu de livres (dixit Elef)
against all odds, ils ont fait des études supérieures
Carmelo et Elef m’ont parlé littérature
ont partagé, tout comme Michel, leur analyse de la société, de l’histoire
l’épouse de l’un d’entre eux,
m’a dit que son mari parlait de moi, parfois
je suis tombée des nues
Renée : tu étais une collègue
pourtant nous n’avions jamais parlé
pour toi (comme pour eux, et moi)
ton enfance n’avait pas été des plus jojo
Oscar est devenu un collègue et est chargé de cours en haute école
Maria et Léo -qu’est-ce qu’il m’a fait rire celui-là ! – s’investissent (eux aussi) dans une école
Elle est est secrétaire, lui prof de gym
Youssef travaille dans le secteur bancaire
Elef cultive et distribue des légumes bio
dans le sud de la France
Michel est fonctionnaire
Fillia, elle vit son grand rêve :
vivre et travailler en Grèce
ils sont rigolos et sérieux à la fois
la plupart ont des enfants
la plupart sont venus avec leur compagne
tous ont tenu à me parler
et moi, j’ai été ravie de partager
emportée vers de très beaux chemins
celui qui m’avait lancé
« sale pute »,
je n’avais pas attendu ce soir pour tenter de « comprendre » d’où ça venait
une petite fierté : je n’avais pas informé la direction de l’anicroche
demandé, « pute, ça veut dire quoi pour toi ? »
il ne savait pas trop
je ne sais pas où sont Latifa, Aïcha, Jose, « de lange » (de echte zinneke du groupe), Ana
je dois oublier l’un ou l’autre
je suis émue
époustouflée
heureuse
ils ont renforcé mon désir de poursuivre
de cheminer, modeste enseignante en promotion SOCIALE
c’est pas si vain – don’t be vain, Michèle
Ici Michèle, la prof du témoignage
j’espère que vous ne croirez pas que celui-ci
est une incitation
à se ranger,
à devenir bourge
les personnes dont je parle
elles ont gardé en elles
leur créativité,
n’ont pas oublié leur révolte – l’ont intégrée à leur vie d’aujourd’hui
beau chemin à toi
que les embûches viennent, au bout du compte,
l’enrichir
Merci Michèle pour le témoignage qui montre combien les transformations sont possibles tout en restant fidèle à soi-même.
S’il y a une incitation dans le texte, c’est une incitation à ne pas crisper son regard d’adulte sur des aspects de l’adolescence qui en deviendraient, du coup, des obstacles au chemin à parcourir.